Le zonage en aires urbaines15 permet d’interroger la localisation des industries selon les types de territoires.
De récents travaux de recherche menés par Francis Aubert16, professeur d’économie, soulignent les différences majeures d’industrialisation qui existent entre territoires ruraux et territoires urbains. La part des emplois industriels dans l’emploi total des espaces « à dominante rurale »17 atteint 18,4 % en 2014, alors qu’elle n’est que de 11,5 % dans le reste du territoire, « à dominante plus urbaine ». L’orientation productive des économies rurales se distingue nettement de l’orientation tertiaire des économies urbaines.
Selon la taille des pôles urbains, la part de l’industrie dans l’emploi total varie fortement. Cette part est ainsi de 10,5 % dans les grands pôles alors qu’elle est de 16,4 % dans les pôles moyens et de 20,5 % dans les petits pôles. Les petits pôles urbains sont les territoires où l’industrie pèse proportionnellement le plus dans l’emploi local même s’ils ne rassemblent « que » 7,1 % de l’ensemble des emplois industriels de France. Selon Francis Aubert, on peut y voir des choix historiques de la décentralisation industrielle, mais aussi un processus plus actuel de micropolarisation de l’industrie rurale.
Ces travaux pointent par ailleurs un fait majeur : l’attrait des espaces périurbains pour l’implantation d’activités industrielles. L’industrie représente 17,0 % des emplois présents dans les couronnes des pôles et les espaces multipolarisées réunis. Cette proportion est nettement supérieure à la part de ces mêmes emplois industriels dans les pôles (11,3 % si l’on agrège les données des grands, moyens et petits pôles) et dans les communes les plus rurales (15,5 % dans les communes dites isolées). Ces espaces périurbains accueillent aujourd’hui près du quart des emplois industriels du pays, pour près du tiers de la population nationale et moins du cinquième de l’ensemble des emplois. La surreprésentation des emplois industriels dans le périurbain peut être associée à plusieurs facteurs : prix du foncier, emprises plus grandes, zones industrielles aménagées, volonté d’éloignement des concentrations des populations, accès et fluidité des infrastructures de transport, etc.
Surtout, comme le détaille Francis Aubert, ces chiffres montrent que les communes périurbaines ne sont pas simplement des zones résidentielles : elles accueillent également des activités industrielles (en plus des activités commerciales et de logistique), provenant du desserrement des zones urbaines et de l’attraction d’activités disséminées qui se rapprochent des marchés urbains.
Au-delà de ces grands équilibres, il est nécessaire de rappeler une évolution majeure de ces dernières décennies : l’industrie a eu tendance à se déconcentrer des grandes aires urbaines vers le reste du territoire national. Alors qu’en 1975, ces grandes aires (agrégation des grands pôles, de leurs couronnes et des communes multipolarisées des grandes aires urbaines) concentraient 84,2 % des emplois industriels du pays, en 2014 cette proportion n’était plus « que » de 78,6 %. Cette baisse s’est faite au bénéfice de tous les autres types d’espaces. Ces observations confirment la tendance à l’homogénéisation de la répartition des emplois industriels sur le territoire national au cours des quarante dernières années.
Enfin, pour compléter ces travaux et mieux rendre compte de la variété des logiques de localisation des activités industrielles, Francis Aubert propose de les classer en trois catégories :
- Les activités « naissantes » et les activités de « front office », sensibles à la présence de facteurs technologiques (équipements, compétences, services de maintenance, etc.) ou au contact du marché final. Elles se localisent de façon privilégiée dans les centres urbains.
- Les activités intermédiaires et de « backoffice », sensibles au coût des facteurs banals (terrains, travail) et au coût (généralisé) de transport. Elles se détachent des pôles urbains mais restent toutefois assez proches, en zone périurbaine ou dans le rural accessible.
- Les activités matures, qui incorporent peu de facteurs techniques et sont peu sensibles au coût (généralisé) de transport, mais très attentives aux composantes du coût de production. Elles s’éloignent sensiblement des centres pour minimiser le coût d’implantation et la masse salariale et rejoignent des zones rurales éloignées et, éventuellement font l’objet de délocalisations lointaines.
16. Aubert F. (2016), « L’industrie rurale entre déterminants urbains et dynamiques territoriales »
17. En reprenant la terminologie du précédent ZAU, les espaces à dominante rurale sont ici entendus comme l’agrégat des petits pôles (comptant de 1 500 à 5 000 emplois) et de leurs couronnes périurbaines, les communes qui n’appartiennent pas à une aire urbaine mais sont multipolarisées, ainsi que les communes hors d’influence des pôles, dites isolées du zonage en aires urbaines 2010.