De nombreux travaux ont montré comment l’éloignement spatial des chômeurs aux lieux d’emploi pouvait nuire à leur employabilité, surtout en contexte urbain. Cette théorie, appelée « spatial mismatch » (« mauvais appariement spatial »), a été formulée par Kain en 1968 aux États-Unis pour expliquer les taux de chômage particulièrement élevés des minorités noires peu qualifiées vivant dans les ghettos des villes-centres américaines par leur déconnexion spatiale des opportunités d’emploi (même peu qualifiés) situées, elles, en banlieue. Cette hypothèse a connu un grand succès, et s’est étendue à des cas plus larges : il s’agit globalement de mesurer la pénalité que représente l’éloignement entre le lieu de résidence de la main-d’œuvre peu qualifiée, et la localisation des emplois correspondants.
Cette pénalité tient essentiellement à deux mécanismes principaux :
- des coûts de transport prohibitifs liés aux trajets domicile-travail, pour lesquels l’impact de la distance est amplifié par l’accès réduit à la mobilité des populations concernées ;
- un impact négatif de la distance sur l’efficacité de la recherche d’emploi : s’informer des offres d’emploi ou se déplacer pour se rendre à des entretiens est plus coûteux, en temps et en argent.
À côté des effets liés à l’accessibilité physique aux emplois, cette littérature montre également que, les effets de discrimination mis à part, les difficultés d’accès à l’emploi sont en large partie liés à la faiblesse des réseaux mobilisables dans le cadre de la recherche d’emploi. Cette conclusion invite à étudier le rôle des institutions d’intermédiation sur le marché local du travail, idéalement censées pallier la carence du réseau social de certains chômeurs. Si des programmes spécifiques et un fléchage des dispositifs de droit commun d’accompagnement vers l’emploi ont été mis en place dans les quartiers prioritaires, plusieurs études font état d’un moindre recours au service public de l’emploi de la part des chômeurs des quartiers. En effet, parmi les chômeurs (au sens du BIT) résidant en zone urbaine sensible (Zus) entre 2009 et 2014, 14,3 % n’étaient pas inscrits à Pôle emploi, contre 12,7 % des chômeurs résidant dans les unités urbaines environnantes13. Cette différence, significative du point de vue statistique, est plus importante encore pour les non-diplômés.
On peut faire l’hypothèse que plusieurs effets concourent au surcroît du non-recours au service public de l’emploi dans les quartiers prioritaires : il peut exister une distance physique, mais également sociale et culturelle au service public de droit commun ; un effet de composition du public des chômeurs dans les quartiers ; ou encore un effet de voisinage dans des quartiers où les chômeurs sont plus concentrés (si une défiance envers le service public de l’emploi se développe, elle est susceptible de toucher plus d’individus en présence d’effets de pairs). Le non-recours aux institutions officielles de régulation du marché de l’emploi n’est pas un problème en soi, si les ressources propres à chacun liées au capital social s’y substituent. Pour les économistes, le capital social est défini comme un ensemble de ressources encastrées dans des réseaux sociaux et mobilisables par les individus pour accroître leur efficacité, et notamment pour accéder à un emploi. Ainsi, l’accès à un capital social plus important est associé à une meilleure réussite, tant au niveau des individus que des groupes sociaux ou des territoires. Les normes sociales du milieu d’origine interviennent de manière directe (concurrence, mimétisme) et indirecte, intériorisées par les individus et les familles qui adaptent leurs comportements aux chances objectives de réussite en matière d’orientation scolaire ou professionnelle, et qui bénéficient plus ou moins du capital d’information détenu par les membres du réseau social. L’impact des différences de capital social sur l’accès à l’emploi a été beaucoup étudié en milieu urbain ; certains suggèrent une extension de ces travaux en contexte rural, où le capital social pourrait constituer un nouveau cadre d’analyse des disparités d’accès au marché du travail.
L’enquête « Offre d’emploi et recrutement » 2016
Ces disparités d’accès au marché du travail s’inscrivent dans la forte évolution des processus de recrutement. Afin de mieux les connaître, la Dares a mis en place en 2005 l’enquête « Offre d’emploi et recrutement », menée auprès des entreprises. Afin d’en actualiser les résultats, une nouvelle enquête est conduite en 2016. Celle-ci, demandée notamment par la DGEFP, le Défenseur des droits, France Stratégie, l’Insee, ainsi que par des chercheurs (Centre d’études de l’emploi, Centre d’études et de recherches sur les qualifications), permettra d’apporter des informations utiles aux différents acteurs du marché du travail (pouvoirs publics, employeurs et leurs représentants, organisations syndicales, etc.).
L’enquête actualise le rôle des différents canaux mobilisés par les employeurs, en particulier celui de Pôle emploi, en intégrant les nouveaux canaux tels que les réseaux sociaux professionnels, les agences d’intérim, les opérateurs privés de placement, etc. Elle permettra également d’analyser dans quelle mesure les nouvelles technologies de l’information ont pu modifier la manière dont les employeurs recherchent des candidats. Elle vise également à répondre à des questions particulièrement importantes dans la conjoncture actuelle : l’analyse des raisons du recours à un recrutement externe plutôt qu’interne, les arbitrages entre les différents types de contrat (CDD, CDI, etc.), les difficultés de recrutement, les discriminations à l’embauche que peuvent subir certaines catégories de salariés et la satisfaction de l’employeur à l’égard du recrutement réalisé.