Si l’augmentation de la dissociation spatiale entre lieux de résidence et lieux de travail potentiels concerne toutes les catégories de territoire, elle concerne également presque toutes les catégories d’actifs. En effet, après une période de baisse au cours des années 1990, elle est de nouveau à la hausse. On analyse ces évolutions à travers un indice de dissimilarité (voir encadré), calculé pour chaque CSP.
La dissociation entre lieu de résidence et lieu où sont localisés les postes correspondants est la plus forte pour les cadres et les professions intellectuelles supérieures, et, dans une moindre mesure, les professions intermédiaires. Ce phénomène est lié au fait que les emplois les plus qualifiés, particulièrement ceux des cadres, sont plus concentrés géographiquement (dans les grands pôles urbains) et que, par conséquent, les pôles d’emplois sont moins nombreux pour cette qualification.
Les cadres aujourd’hui plus proches de leur lieu de travail
En 2012, on comptait ainsi 40 emplois de cadres pour 100 actifs occupés cadres résidant dans les couronnes des grands pôles (contre 67 pour les ouvriers et 54 pour les employés), et environ 26 dans les couronnes des petits et moyens pôles (contre entre 35 et 45 pour les ouvriers et employés). Les cadres sont toutefois moins éloignés aujourd’hui, en moyenne, de leur lieu de travail que dans les années 1980. L’augmentation importante des emplois de cadres au cours des dernières décennies, même si elle s’est principalement concentrée dans les pôles urbains, tend en effet mécaniquement à mieux répartir ces emplois dans l’espace.
Les ouvriers, dont le lieu de résidence est traditionnellement moins éloigné du lieu de travail que les cadres du fait d’une meilleure répartition de l’appareil productif dans les territoires (par opposition à la concentration des emplois de cadres), voient pour leur part croître leur éloignement moyen du lieu de travail potentiel.
Cette augmentation, continue depuis les années 1970, est la plus forte de toutes les CSP, à tel point que la disjonction entre les espaces de résidence des ouvriers et leurs espaces de travail est aujourd’hui comparable à celle des employés (en baisse), alors qu’elle était très inférieure dans les années 1970. On peut y lire la chute du nombre d’emplois ouvriers (voir chapitre 1E) qui, à l’inverse du phénomène jouant en faveur des cadres, tend mécaniquement à diminuer le nombre de lieux où sont disponibles ces emplois ; ainsi que la tendance générale à la concentration des emplois (voir chapitre 2A). Comme pour les autres catégories socioprofessionnelles, le ratio entre le nombre d’emplois d’ouvriers et le nombre d’actifs ouvriers occupés résidents a baissé dans tous les types d’espaces depuis 1975, sauf dans les pôles urbains. Dans un contexte où le chômage touche massivement les ouvriers, cet éloignement croissant des possibilités d’emploi de plus en plus concentrées dans les pôles urbains constitue un enjeu majeur.
MÉTHODOLOGIE - L’indice de dissimilarité de Duncan et Duncan
L’indice de dissimilarité (Duncan et Duncan), habituellement utilisé dans les études sur la ségrégation résidentielle ou scolaire, compare les distributions de deux groupes à travers les unités spatiales, et mesure ainsi leur séparation spatiale. Il varie de 0 (similitude parfaite) à 1 (dissemblance la plus grande). Ici, c’est la distribution des actifs occupés (au lieu de résidence) que l’on compare avec la distribution des emplois (au lieu de travail), dans chaque zone d’emploi et pour chaque catégorie socioprofessionnelle. Il vaut 0 quand les actifs sont répartis de la même façon que les emplois qui leur correspondent. Un indice de 1 signifie au contraire que tous les actifs de chaque CSP résident dans des zones d’emploi totalement différentes de celles où ils travaillent. Un indice de 0,45 pour les ouvriers, par exemple, signifie que, théoriquement, 45 % des actifs de ce groupe devraient déménager pour obtenir une répartition spatiale totalement équilibrée des actifs ouvriers et des postes ouvriers dans l’ensemble des zones d’emploi.